Mademoiselle Na et le tapis

Dans la vie, il y a des étapes, des caps. Des moments de grand calme, avant la tempête. Des épreuves, des coups de pied au cul.

J'ai eu 30 ans en août, je suis donc devenue officiellement très vieille. Oui, et vieillir c'est mieux que mourir, j'ai donc décidé, officiellement aussi, de ne pas détester mon nouvel âge. Ca c'est un cap, que dis-je c'est une péninsule.

30 ans, mariée, deux chats, un café, l'addition s'il-vous-plaît.

Adulte? Adulte. Adulte, oui. Voilà, il va bien falloir grandir un jour.

Je dis trop souvent "une fille" en parlant de moi. Non je ne suis pas une fille, lâchez-moi avec ça, salopards de psys.

Je suis une femme, merde. Pas une femme mère de.

Mais une femme, hey ouais, et même une femme mariée, avec un livret de famille et un abonnement d'un an à la bibliothèque municipale.

C'est foutraque dans ma tête.

Dans mon corps aussi.

Toujours cette joie infinie quand mes règles finissent par arriver, après quelques heures de retard par rapport à l'heure habituelle. Joie vite remplacée par une bonne vieille douleur latente, sourde, pénible. Mais joie tout de même. Ca serait plus simple si j'étais stérile. Je serais tellement soulagée si un docteur me disait "Madame, vous ne pourrez jamais avoir d'enfant, il vous manque des bidules-trucs et un bout de trompe de fallope". Fallope toi-même. C'est assez terrible comme pensée, mais je vous jure que c'est sincère. Ca éviterait à mon inconscient d'être divisé, à ma belle-mère de me harceler. D'une pierre deux coups dans ta face.

Pendant ma première séance d'hypnose, j'ai causé avec mon écureuil. Ca fait longtemps que je le côtoie, il intervient même parfois ici. Hé bien mon écureuil a désormais un prénom : Lycos. Oui, j'ai appelé mon inconscient Lycos, je t'emmerde jeune des années 2000 qui n'a pas compris. T'as qu'à être vieux, comme moi.

Bon, on était là, avec ma thérapeute, moi les yeux fermés, elle j'en sais rien puisque j'avais les yeux fermés, suivez un peu.

On était donc là, et comme elle me connaît bien, elle sait qu'elle peut dire des conneries, ça me fera marrer. Elle parle donc avec mon Nain Conscient inconscient, et elle lui dit, en gros, d'aller chercher les ressources pour me libérer, pour m'aider à aller mieux. Elle ajoute, avec du sourire dans la voix "Va chercher, Lycos." . C'est là que j'ai appris qu'on pouvait vraiment bien se marrer sous hypnose et que j'ai vraiment un humour de merde.

Bref, je suis là, un peu avachie dans le grand fauteuil rouge, les mains sur les jambes, comme bloquées. Et ma thérapeute dit : "Pense à tous tes projets, aux belles choses qu'il vous reste à accomplir avec Monsieur Na." Lycos se met en roue libre, il fait défiler les idées : une maison, un bébé non pas un bébé, un chien". Euh, quoi, pardon, t'as dit quoi? "Un bébé non pas un bébé".

Non mais c'est quoi ce bordel tu déconnes là. Une division? Un doute? Mon inconscient dit non. Mais il a dit oui avant. Il a émis l'idée.

Est-ce que, à ce moment-là, je débite un discours socialement accepté "une maison un bébé", que mon inconscient refuse tout net avec son "non"? Est-ce qu'au contraire c'est mon inconscient qui dit oui et mon conscient qui dit "non"? Putain de foutoir.

Qui qui dit quoi?

En tous cas, une division existe.

Ok. On en fait quoi maintenant de ça. Bah on range sous le tapis et on attend que ça passe.

Forcément, je me pose la question, forcément, puisque tout le monde me la pose, et que personne ne se la pose, autour de moi. C'est évident pour tout le monde, qu'une femme n'est pas une femme tant qu'elle n'est pas mère, que le bonheur passe par l'enfantement, en gros, qu'il faut ouvrir les cuisses et fermer sa boîte de pilule.

Bah non, moi je ne pense pas comme ça. Merde alors, moi j'ai pas ENVIE d'avoir un enfant, pas envie d'être mère, pas envie d'être enceinte, le ventre des femmes enceintes me dégoûte, j'ai eu un haut-le-coeur la dernière fois que j'ai vu un pied pousser la peau du ventre par l'intérieur. Les bébés ne m'intéressent pas plus que ça, ils sentent mauvais, ils bavent, ils sont complètement dépendants, incapable de se faire la bouffe ou d'aller acheter un pack de bière. Et puis ils pleurent, et on ne sait jamais trop pourquoi, et on voit les parents sourire d'un air un peu désespéré, avec leurs cernes dégueus.

Non, je ne me justifie pas, je n'ai pas à le faire. On ne justifie pas une envie, ni une non-envie. Enfin si, d'ailleurs, puisque moi on me demande tout le temps de justifier "tu ne veux pas d'enfant? Ah bon mais pourquoi?", hé bien j'ai décidé de poser la même question aux femmes qui me diront qu'elles veulent un bébé. Ouais, elles vont prendre pour toutes les autres.

Est-ce que je ne veux pas de bébé pour ne pas tuer ma mère? Si je devenais mère, je lui volerais son statut. Grandir auprès d'une mère suicidaire influence vos choix durablement, n'est-ce pas. Si je devenais mère, je deviendrais comme ma mère, et ça c'est insupportable.

J'en sais rien, je n'ai pas l'impression d'avoir changé d'avis sur ce sujet. Mais ce moment m'a chamboulée. Je n'ai même pas réussi à en parler autour de moi. Trop intime. Trop engageant. Faudrait que je voie un psy.

La deuxième séance d'hypnose a été plus profonde.

[petite interruption : Monsieur Na est dans la salle de bains depuis 15minutes, la douche n'est toujours pas allumée, et je l'entends parler foot avec un accent allemand]

["But pour Brest but contre son camp wouhhh lalalalaaaaa"]

[je l'imagine tout nu, assis sur le rebord de la baignoire, avec ses lunettes et sa tablette - en mode Glamour quand tu nous tiens]

[ça y est, la douche est allumée, il chante "Touchheeerrr toucher la chatte à la voisineuh ohohohoh"]

[mais bon dieu, pourquoi ça m'attendrit???]

Bon, je dois aller me préparer, on est en teuf ce soir, anniversaire d'une copine dépressive qui déteste qu'on lui souhaite son anniversaire. J'ai fait un cake avec beaucoup de fromage, il faudra au moins ça.

Je reviendrai demain, ou peut-être lundi d'ailleurs, on verra. Si je survis à ce soir, qui s'annonce formidable, en mode pote dépressive-trop de bruit trop de monde-et j'ai mes règles faut que je m'allonge avec une bouillotte.

Nul doute que cette soirée terminera sous le tapis, avec le reste.

Comments

[Mon3emeblog]

J'entendais hier à la télé une émission qui parlait de ce sujet, de toutes ces femmes qui ne voulaient pas avoir d'enfants, certaines allaient même jusqu'à se faire ligaturer les trompes.



Sinon lycos c'est plutôt le nom d'un chien non ? (oui je suis vieux comme toi... ^^)

[Gaia]

J'espère bien que tu survivras pour revenir :)