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Mademoiselle Na.
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6 juillet 2016

Mlle Na et les adieux.

Je ne suis pas douée en au revoirs. Peut-être un peu plus en adieux.

Avec le temps, j'ai appris que les au revoirs pouvaient être des adieux.

Quand il s'agit de dire au revoir, quand c'est un au revoir un peu définitif, du genre de ceux qui disent "On se revoit bientôt", mais qui ne se revoient pas bientôt, j'ai deux réactions : je pleure ou je ris. Parfois les deux en même temps d'ailleurs.

Aujourd'hui, j'ai pleuré. Beaucoup. J'ai pleuré seule, j'ai pleuré à cause de R., j'ai pleuré avec D. J'ai pleuré en remerciant M et K. J'ai pleuré dans ma voiture. J'ai pleuré dans les bras de celle qui me faisait pleurer.

J'ai fait semblant de ne pas pleurer en serrant mes élèves dans mes bras, cachée derrière mes lunettes de soleil et mon prétexte d'allergie carabinée.

J'ai pleuré dans mon parking souterrain.

J'ai ri aussi, à grands éclats, comme un sanglot qui s'habille en rose bonbon.

J'ai ressenti de la tendresse, de la tristesse, de la peur, mais surtout, de l'humanité.

Je quitte l'un de mes deux postes l'an prochain, j'ai même rencontré mon remplaçant. On a discuté, longuement, j'avais besoin de savoir que je pouvais lui laisser mes petits sans crainte. Au final, je ne suis pas sûre que ça le fasse avec lui. J'espère qu'il ira doucement avec PL. Qu'il prendra le temps d'écrire le programme au tableau pour lui avant la séance. Qu'il pensera à chuchoter pour ne pas le stresser.

Quelle année... Quelle fin d'année.

La mort, la maladie, encore la mort, encore la maladie, et puis tiens, ce soir, encore la mort. Je ne veux plus de morts autour. Cette salope rôde, elle renfile, elle furète, elle vole encore. Je n'en peux plus, je n'en veux plus. Je la sens toute proche. Dégage. Dégage.

Rien qu'au travail, cette année, la mort m'a hantée. La mort d'Hélène, notre petite étoile. La maladie du père de Catherine, ma chère collègue, si proche. Puis sa mort. La maladie du père de M. Puis celle de la maman de Pascal. Et puis sa mort, ce soir.

Je ne peux plus prendre de mauvaises nouvelles, mon répondeur est saturé d'au revoirs. C'est bon, ça va, j'ai compris la leçon, la vie ça se finit un jour, je dois vivre intensément, je sais, ça va, lâches-moi putain. Je dis au revoir, j'apprends à me séparer sans m'effondrer, je le fais le travail sur moi, un jour bientôt j'apprendrai même à me séparer de moi-même.

Mais lâches-moi, vilaine.

Catherine qui quitte l'IME. Catherine par qui j'ai pu entrer en contact avec ce milieu, avec les gens autour. Qui m'a rassurée, m'a consolée, m'a détendue, m'a enseignée. Nos longues conversations intimes ou pédagogiques pendant le covoiturage. Mes blagues qui la faisaient rire, elle et son rire étouffé, en dedans.

Ma mère qui s'est fait opérer aujourd'hui. Ca s'est bien passé, mais elle a mis du temps à se réveiller, plus de temps que prévu, je ne voulais pas qu'elle meure. Je l'aime. Elle m'aime. Alors les gens qu'on aime ne meurent jamais, ça c'est intolérable.

L'opération s'est bien passée, elle s'est bien réveillée, elle va mieux.

J'ai eu peur, tellement.

J'ai peur qu'ils se rendent compte que je ne suis que du vent. Que je suis nulle, en vrai. Je ne suis rien, pas grand-chose, j'apprends mais ça ne suffit pas, je veux qu'on m'admire, je veux qu'on m'aime aussi. Parce que moi je les admire, moi je les aime, moi je me sens piteuse devant eux, qui ont toujours les bons mots, les bons gestes. Je ne suis pas grand-chose, je suis appréciée parce que j'ai l'air d'être bien, je souris, je ris facilement, j'ai l'approche facile, je les écoute, les gens ne se sentent pas menacés par moi. Je ne sais pas si je suis précieuse, je ne suis pas grand-chose, je ne suis rien, presque rien.

Je suis un petit rien qui pleure et puis qui rit. Qui rit en pleurant, qui pleure en riant. Qui parle de la mort et de ce qui amène à la mort. Et qui envoie un texto au petit Chose qui est reparti avec trois verres de trop dans le cornet pour être sûre qu'il est bien rentré, qu'il n'est pas mort, parce qu'elle l'aime beaucoup le Petit Chose, et que les gens qu'elle aime beaucoup, ils meurent, souvent, ou alors ils partent et elle s'effondre.

Je veux garder mon Petit Chose, je veux garder les sourires et les petits mots de mes élèves de ces deux ans, je veux garder K, M, R, les mettre dans ma poche partout où je vais parce que ce que j'ai vécu avec elles ne s'effacera jamais, ce n'est pas si fréquent d'aller acheter une plaque funéraire entre collègues, de se tenir debout les uns les autres pendant un enterrement, de choper un fou rire en classe sans plus pouvori s'arrêter devant le regard égaré de nos élèves.

Ce fut une année d'au revoirs.

Une année qui, incontestablement, et de partout, termine quelque chose.

Dans un mois, j'ai trente ans, je me marie. Si je l'épouse et qu'il meurt, je le tue.

C'est pas moi qui tue les gens hein, c'est pas parce que je les aime qu'il y a la mort autour d'eux. Dis-le moi, putain, que c'est pas de ma faute. J'ai beau le savoir là, je ne le sens pas ici.

En attendant, je suis soulagée : mon Waterproof n'a pas coulé.

Mlle Na

 

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Commentaires
G
Ah non ça c'est pas vrai, t'es pas rien. Je suis sûre que plein de gens t'admirent et t'aiment, apprécient tes bons mots et tes bons gestes, ce n'est pas parce qu'ils ne le disent pas qu'ils ne le pensent pas, malheureusement on pense trop peu à dire ce genre de trucs. Mais c'est sûr que t'es pas rien.<br /> <br /> Bisous
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Mademoiselle Na.
  • Mes histoires de chaussettes dépareillées, mes petites culottes en dentelle, mes longues conversations avec mon écureuil intérieur. Je cause, je papote, je bavarde, je m'épanche, je raconte. Na.
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