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Mademoiselle Na.
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10 janvier 2016

Mademoiselle Na, les poussins et le thé à la menthe.

Chapter One : Mademoiselle Na

Mademoiselle Na est une fille une femme de son temps.

Elle est indépendante financièrement, utilise son smartphone pour commander ses courses et aime boire du Chardonnay.

Au début, il y a longtemps, Mademoiselle Na ne croyait pas en l'amour. Pas en l'engagement non plus. Et puis un jour, il y a eu Monsieur Na. Et Monsieur Na, il a tellement des fesses de compétition de qualités qu'elle s'est dit que finalement ça pouvait peut-être exister un peu, pour quelques temps.

Un jour, le jour de la Saint Valentin 2014, ça faisait déjà longtemps qu'ils en parlaient, Monsieur Na l'a demandée en mariage. Ils ont fixé une date, loin, dans deux ans, un peu pour avoir le temps de mettre de l'argent de côté, beaucoup pour permettre aux amis d'Allemagne qu'ils aiment tant de pouvoir venir (ils se marient en 2015 et n'auront pas le budget pour venir à l'été 2015). Mademoiselle Na étant une grande control-freak stressée qui aime bien avoir le temps de préparer les choses, elle s'est dit que c'était un mal pour un bien, elle aurait tout le temps de voir venir. Qu'elle prendrait son mal en patience, puisque c'était pour la bonne cause. Ca fait chier d'attendre autant, mais ça va le faire.

Mademoiselle Na est une femme de clan. Elle a besoin d'avoir ses petits poulets tout autour d'elle. Alors forcément, elle prend les devants en annonçant à tout le monde bien en avance la date de son mariage, pour être sûre qu'ils seront là le jour J, le jour où elle va dépasser pour de vrai, devant la République, sa trouille phobique de l'engagement, le jour où elle va jeter à la face du monde un "OUI" résolument optimiste, allant contre tous les pronostics, toutes les traditions familiales, toutes les idées qu'elle s'était faites. C'est un grand pas pour elle, ce n'est pas rien d'oser parier sur l'amour éternel dans cette époque de consommation effrénée, rapide, fast food de love. Elle le dit, le redit, envoie un mail, puis un save-the-date.

Mademoiselle Na aime Monsieur Na. Je dirais même qu'elle est dingue de lui. Même quand il se trompe de chemin pour rentrer. Même quand il ronchonne parce qu'il a faim et que ça le met de mauvaise humeur d'avoir un boyau de vide. Même quand il oublie qu'il doit faire la galette des rois et qu'avec toute sa mauvaise foi, il ose affirmer " Mais tu me l'avais pas dit, je savais pas", alors que pour être bien sûre qu'il y pense, elle l'avait même écrit dans son agenda.

Mais là où elle l'aime le plus, c'est quand il voit qu'elle a pas trop le moral, et que, pour lui faire plaisir, au lieu d'aller jouer sur sa console de merde, il loue un film avec Adam Sandler et il se pelotonne derrière elle sous la couette. Ou quand il met de la Nivea For Men sur ses joues irritées et qu'il a l'impression qu'elle va être absolument subjuguée par cette initiative "Sens ma Bichette, j'ai mis de la crème, t'as vu?!!", comme si ça allait lui faire plaisir à elle qu'il mette de la crème alors que franchement elle s'en fout mais qu'elle le regarde en souriant et lui dit qu'effectivement elle est fière de lui.

Chapter Two : les poussins

Mademoiselle Na ne veut pas de petit poussin dans son ventre.

poussinParce que ça sert à rien, ça coûte des sous, ça fait du bruit et ça sent mauvais de la couche.

Pourtant, Mademoiselle Na aime bien les petits poussins des copines. Elle aime bien leur faire des bisous, des blagues, jouer à "caché.... coucouuuu!" avec eux.

La copine-collègue de Mademoiselle Na, A., était enceinte cet été. Alors forcément, Mademoiselle Na, toute contente, a ajouté une case "petit poussin" à la liste des invités de son mariage. Et puis A. a perdu le bébé, alors Mademoiselle Na a effacé la case Petit Poussin.

Et puis A. a déménagé, et le jour du déménagement, Mademoiselle Na trouvait un peu bizarre que A. semble s'agiter dans tous les sens sans vraiment porter de trucs, alors elle a demandé, et A. lui a dit que oui, y avait un nouveau Ptit Poussin en route. Ni une ni deux, Mademoiselle Na a fait un noeud à son mouchoir vitruel en se promettant de rajouter une case Ptit Poussin. Elle a quand même eu un petit doute, elle savait pas pourquoi. Elle a compris pourquoi quand le papa du poussin a donné la date du terme. Pile poil. On pouvait pas faire plus précis. La date du mariage de Mademoiselle Na.

Ah.

Donc, clairement, soit elle accouche un peu en avance et elle ne pourra pas venir parce qu'elle sera en train d'allaiter un nouveau-né tout fripé tout violet, soit elle accouche pile le jour J et elle ne pourra pas venir parce qu'elle sera en train de perdre les eaux et de poussez, madame je vois la tête.

Moi, le placenta à la mairie, j'y crois moyennement. C'est un concept novateur pourtant, y a bien des gens qui font de la glace au placenta aux States. On pourrait proposer ça en accompagnement du Vin d'Honneur. "Soyez tendance, mangez votre placenta!"

Bon, dénouage de petit mouchoir virtuel, nouage dans l'autre sens : il faudra penser à effacer les 4 cases de la famille de A.

C'est pas grave, parce que A. n'est pas si proche, et que vraiment Mademoiselle Na est contente pour elle, c'est une belle nouvelle.

Le petit Poussin pas prévu

Mademoiselle Na a une amie, très proche. Une amie qu'elle aime tellement profondément qu'elle a beaucoup pleuré quand cette amie est partie en Martinique sur un coup de tête. Cette amie, appelons-la Beebee.

Beebeea toujours été un peu bordélique, un peu borderline, un peu du genre à tout envoyer bouler autour d'elle. Pas très stable dans ses études, dans ses amours, dans son travail. Beebee a une grosse tendance aux excès, aux drogues en tous genres, à l'alcool, à la bouffe, aux prises de risques.

La Martinique, c'était juste un épisode de plus dans cette vie de "J'envoie tout en l'air on verra bien, et je m'enfuis à l'autre bout du monde". Mademoiselle Na a longtemps pensé la choisir comme Témoin. Parce qu'elle l'aime très fort, et que Beebee l'aide beaucoup dans sa vie et adore Monsieur Na.

Et puis, Beebee est partie pendant des mois, et Mademoiselle Na s'est dit qu'elle avait besoin de quelqu'un qui puisse être un peu stable, un peu sûre d'être là le jour de son mariage et présente pour l'aider dans les recherches de robes et compagnie.

Alors elle a choisi une autre amie très proche comme Témoin.Et puis Beebee est revenue, et elle a recommencé à mener une vie un peu différente, un peu marginale, mais pas tout à fait, toujours sur cette espèce de ligne fragile de l'entre-deux : pas vraiment dedans, pas vraiment dehors non plus.

Et puis il y a quelques semaines, Poupoule a dit à Mademoiselle Na " Je peux venir dormir chez toi ce soir?", alors bien sûr oui, et comme Mademoiselle Na a bien senti un truc bizarre, Beebee lui a dit "Je suis enceinte.".

Situation compliquée. Beebee a été traumatisée par un avortement il y a des années. Et s'était juré de ne plus jamais vivre ça.

Mais en même temps, garder un enfant quand on n'a aucune stabilité, aucun projet d'avenir concret, aucune situation amoureuse stable, même si le Coq a dit qu'il la suivrait quelque soit sa décision, voire même pas un vrai toit avec du chauffage, ben c'est pas si évident. Beebee le dit elle-même : elle n'a pas de goût à vivre en ce moment, sa vie n'a pas de sens.

Un Ptit Poussin, ça a besoin d'amour, de nourriture et d'un peu de chaleur. D'un sens dans lequel apprendre à marcher.

Alors Beebee hésite, souffre, attend, avec ce petit bout de petit poussin dans le ventre, qui grandit en attendant de voir.

Mademoiselle Na, elle se dit que ce serait chouette un petit bout de Beebee à aimer, à câliner. Elle a senti dans sa voix, dans ses mots, que Beebee allait le garder ce ptit chose. Alors elle rassure, elle accueille, elle fait de la mousse au chocolat et elle lui offre un bain moussant bien chaud.

Et d'un coup, comme le jour où elle a compris qu'on ne mettait pas de cédille au mot "difficile", Mlle Na a eu un éclair : le terme. La date. Une semaine après le jour de son mariage (la veille de son anniversaire aussi d'ailleurs).

Ah.

Oui, mais alors se marier sans Beebee à côté pour la rassurer, ça, nan, c'est inimaginable pour Mademoiselle Na. Beebee a cette capacité à relativiser, à mettre des coups de pieds au derrière de Mlle Na quand elle doute, à lui rappeler les vraies choses, à la ramener dans la réalité en quelques mots, à la rassurer, à l'entourer de câlins, qui est juste nécessaire à Mlle Na.

Je ne peux pas me marier sans Beebee, je ne veux pas me marier sans Beebee. 9 mois de grossesse, y a-t-il une chance qu'elle soit là quand même?

Au risque d'accoucher sur la route? Comment imaginer qu'elle puisse nous suivre sur la côte, 1heure de route, à 1 heure du premier CHU.

Me marier sans elle, ce serait comme manger du beurre doux sur un beau pain tout frais : triste, il me manquerait ce petit grain de sel qu'elle apporte à ma vie.

Le poussin supplémentaire, ou la cerise sur le gâteau

Celui-là, je ne l'avais pas vu venir.

Mais qu'est-ce qu'elles ont toutes à se retrouver enceintes le même mois? Y avait plus de stérilets dans les pharmacies? Connaissent pas la pilule du lendemain? Y a eu une vague de libido procréatrice sur l'Europe? Elles se sont donné le mot?

Peuvent pas serrer les cuisses nan.

giphyLes amis d'Allemagne, ceux pour qui on a choisi de caler notre mariage seulement en 2016, ceux qu'on adore, qui doivent rester une semaine supplémentaire avec nous dans la maison sur la plage qu'on loue avec eux exprès. Son terme? à 1 jour près, le jour de mon mariage.

OH tu as entendu? C'est mon coeur qui a sauté un battement.

Putain.

Donc, si je résumé, j'ai 3 amies, dont deux de mes plus proches qui doivent accoucher le jour de mon mariage, à + ou - une semaine.

Déjà qu'on fait un mariage tout petit, tout intime, là ça va être carrément petit comité. C'est plus une case "Petit Poussin" que je dois rajouter, c'est une case " CHU", une salle d'accouchement et un gynéco de garde.

Ouais, je devrais me réjouir pour elles.

Mais c'est trop triste pour moi. On a attendu 2 ans, 2 ANS bon diou, exprès pour eux, en le leur disant, en en discutant avec eux, pour qu'ils puissent venir, parce qu'ils y tenaient et nous aussi. On a prévu qu'ils feraient un truc pendant la Cérémonie Laïque, parce qu'ils comptent vraiment pour nous, que leur amour est une inspiration pour nous, qui manquons tellement de repères. Les couples autour de nous ne durent pas. Ils finissent tous par divorcer, se déchirer. On a besoin nous aussi de voir des gens qui s'aiment, ça nous rassure, ça nous laisse penser que ça peut marcher, qu'on a raison de tenter le truc.

Me marier sans BeeBee, sans les Allemands...

Ou changer ma date. Mais la mairie est déjà bloquée, le traiteur crêpier calé, le resto pour le vin d'honneur aussi. Faire un mariage cet hiver???

Ouais.

Vive la contraception.

Chapter three : le thé à la menthe

Je suis athée, et profondément, et clairement. Je suis aussi humaniste, j'aime les gens, je crois à la citoyenneté, au partage, au vivre ensemble, au métissage des cultures. J'ai choisi d'habiter un quartier populaire, métissé, avec toutes les couleurs et tous les accents parce que c'est là que je me sens à la maison, même si ça fait hurler le côté bourgeois de ma soeur.

Je vis juste en face d'une mosquée, qui, pour le week-end, participe à l'initiative nationale "Les mosquées vous offrent le thé", alors j'ai pris mon Monsieur Na sous le bras et nous voilà partis pour la Mosquée. Ca a quelque chose de drôle quand on me connaît, moi qui suis anti-cléricale au possible, parce que les organisations me semblent néfastes, religions, partis politiques, syndicats etc... Mon côté Ni Dieu Ni Maître.

Je n'aime pas les religions, mais entendons-nous bien, je ne parle là que du concept, pas des croyants. Les croyants sont des citoyens comme moi, ils ont choisi de faire partie d'une organisation religieuse, ce qui n'est pas mon cas. Mais je crois aussi à des trucs, moi, je crois aux esprits, je crois au destin ou en tous cas à la bonne étoile. J'aime les Hommes, c'est ma nature, et la croyance a quelque chose de très humain.

Nous sommes accueillis par un jeune musulman très souriant. Il est visiblement ému, et ça me touche. Ce que nous faisons là, c'est lutter contre l'indexation, l'islamophobie ambiante, les pensées extrémistes qui voudraient nous séparer. Alors nous nous serrons la main en souriant et nous remercions mutuellement d'être là.

Discussion avec le vice-président de la mosquée, Mohammed, un quadra habillé avec style. Il est officier, travaille pour l'Etat. Avec nous, une vieille conne venue visiter la mosquée.

Elle accepte d'enlever ses chaussures, mais demande des petits chaussons parce qu'elle a froid aux pieds. Ne cesse d'interrompre Mohammed pour lui poser des questions plus stupides les unes que les autres, sur la burqa, sur le voile, sur le terrorisme.

Non les Musulmans n'ont pas à se justifier de quoique ce soit, puisque ce qui se passe n'est pas le fait de la religion, mais celui de la géo-politique.

Moi, je suis née blanche, et mes parents m'ont baptisée. On pourrait donc me dire que je suis catholique, et je vous assure que si un jour on me demandait de me justifier sur l'Inquisition et les Croisades, j'aurais très envie de distribuer des bourre-pifs. Ils sont sacrément patients nos Musulmans. On devrait plutôt leur demander pardon pour l'islamophobie rampante, pour la peste brune qui traîne dans le coin depuis longtemps.

Nous discutons, la vieille conne m'agace, je finis par lui rentrer dedans, avec le sourire mais tout de même. Elle m'agace à m'inclure dans ce "nous" : "Nous, nous sommes choqués par les femmes qui demandent à être vues par une gynéco femme dans les hôpitaux", en me désignant d'un geste vague, comme si je faisais un quelconque "nous" avec elle parce que je suis née avec la peau d'une certaine couleur, "nous" qui serait opposé au "vous", "vous les "musulmans d'apparence", comme si c'était normal, acceptable, de fragmenter les citoyens, la société en deux parties opposées.

" Non, madame, VOUS êtes choquée.

- Ah ben vous n'êtes pas choquée vous?, elle a dit, réellement surprise,

- Non madame, certainement pas, moi je ne suis pas choquée, elles font bien ce qu'elles veulent ces femmes, si elles préfèrent être suivies par une gynéco femme. Chacun sa croyance. Je ne fais pas partie du même "nous" que vous madame, ne croyez pas que je sois d'accord avec vous parce que nous avons la même couleur de peau."

J'avais pas réfléchi avant à ce que j'allais dire, pour une fois, j'ai juste été tellement agacée par ses propos que c'est sorti tout seul, devant le groupe de personnes qui s'étaient rassemblées autour de nous petit à petit. Je me suis surprise, je suis plutôt du genre à le penser très fort sans oser le dire d'habitude. Mohammed m'a regardée en souriant, et au moment de sortir, je l'ai remercié, et je l'ai assuré de tout mon soutien, je lui ai dit que moi aussi je voulais qu'on continue à vivre ensemble, quelles que soient nos croyances, qu'on continue de s'aimer et de faire avancer l'Humanisme.

On a eu le droit d'assister à la prière. C'était un moment incroyable. Emouvant, étrange et beau.

Aujourd'hui, la mosquée est encore ouverte, je vais probablement leur faire des crêpes, pour les remercier de leur accueil.

Cette initiative est formidable. Elle crée du lien, là où ils sont nombreux à vouloir coller de la haine.

fraternite

"Nous devons tous apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons tous mourir ensemble comme des idiots."

Martin Luther King

 

Mademoiselle Na.

 

 

 

 

 

 

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  • Mes histoires de chaussettes dépareillées, mes petites culottes en dentelle, mes longues conversations avec mon écureuil intérieur. Je cause, je papote, je bavarde, je m'épanche, je raconte. Na.
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